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Maroc: Code de la famille: ce qui va suivre

70 tribunaux de famille et 500 juges spécialisés devront être prêts avant le 1er avril 2004.
Un guide unifié pour les juges, adoul et auxiliaires de justice est en cours d’élaboration.

Pour une affaire non encore jugée, c’est le nouveau code qui s’applique. Dans le cas d’une affaire mise en délibéré, c’est l’ancien code.



Le Code de la famille a été publié au Bulletin officiel (B.O.) le 5 février 2004. Il est entré immédiatement en vigueur!



C’est un cas rare, car il faut en règle générale un délai minimum d’un mois à partir de la publication au B.O. pour qu’une loi devienne applicable (voir encadré). Ce code, longtemps attendu, 500 juges spécialisés l’appliqueront dans 70 tribunaux de famille. A noter que pour les affaires déjà engagées devant la justice la prise en compte de ce code sera effective ou pas selon le degré d’avancement et la spécificité des cas.



L’entrée en vigueur de ce texte de loi est l’aboutissement d’un processus marathonien entamé depuis la remise au Souverain (en septembre dernier) des conclusions de la Commission consultative royale de révision de la Moudawana. Mais ce dossier est ouvert depuis la présentation par l’ancien Premier ministre, Abderrahmane Youssoufi, il y a cinq ans (voir la chronologie), du Plan national d’intégration de la femme au développement, qui a mobilisé contre lui les forces islamistes et conservatrices du pays.



Le Code de la famille est donc entré en vigueur. Et s’il y a une date-clé à retenir c’est bien celle du 1er avril où tout le système devra être mis en place. Le ministère de la Justice est d’ailleurs sur le pied de guerre et met les bouchées doubles à la fois pour l’élaboration des textes (guide pour les juges, brochures pour les citoyens...), la formation des juges et la mise à la disposition des tribunaux des moyens nécessaires pour l’ouverture des juridictions de famille.



270 000 actes de mariages conclus et 45 000 divorces prononcés chaque année



Ainsi, sur les 70 tribunaux de famille (un par province) à mettre en place, 20 sont déjà opérationnels. Quant aux 50 autres, ils devront l’être avant la fin du mois de mars 2004.



Ces tribunaux ne chômeront pas. Et pour cause. La procédure judiciaire a été généralisée pour tout ce qui concerne le statut personnel (mariage, divorce, garde des enfants...) et successoral (héritage). Déjà, chaque année, en moyenne, près de 270 000 actes de mariage sont conclus et près de 45 000 divorces sont prononcés. Ces tribunaux constituent donc une pièce maîtresse dans l’application du nouveau Code de la famille. Le Souverain l’avait d’ailleurs affirmé clairement lors de son discours d’ouverture de l’année judiciaire, le 29 janvier 2003. Il l’a rappelé dans la lettre du 12 octobre adressée au ministre de la Justice. «L’application de la Moudawana a confirmé que les lacunes et les défaillances qui ont été relevées ne tenaient pas seulement à certaines dispositions de ce code, mais surtout à l’absence de juridictions de la famille, qualifiées sur les plans matériel, humain, et de procédure, à même de réunir les conditions de justice et d’équité nécessaires et garantir la célérité requise dans le traitement des dossiers et l’exécution des jugements».



A rappeler que les préparatifs ont été entamés dès le début de l’année dernière pour ouvrir les premiers tribunaux de famille dans les principales régions du pays. Au 24 octobre dernier, ils étaient déjà au nombre de sept. Aujourd’hui, il s’agit de passer à la vitesse de croisière pour atteindre les objectifs fixés.



70 tribunaux de famille opérationnels avant le 30 mars 2004



En moins d’un mois et demi, il faudra terminer les travaux de construction en cours des nouveaux bâtiments ou louer des locaux convenables et les équiper en bureautique et en matériel informatique. Les besoins de ces tribunaux en ordinateurs seront largement satisfaits et dans les délais puisque le ministère de la Justice a récemment acquis 2 500 ordinateurs.



Pour ce qui est des ressources humaines, la formation de juges spécialisés, est en bonne voie. Un groupe de juges est déjà opérationnel. Une promotion de 30 magistrats sortira bientôt de l’Institut supérieur de la magistrature et 320 juges du statut personnel bénéficient d’une formation continue. Deux groupes, de 80 juges chacun, auront terminé cette formation, le premier le 16 février et le second le 23 du même mois.



De plus, le recours par voie contractuelle aux juges spécialisés à la retraite est pratiquement acquis afin d’encadrer les nouveaux juges et de participer à la mise en œuvre de la procédure de conciliation, qui a pris beaucoup d’ampleur dans le nouveau Code de la famille.



Par ailleurs, la commission d’experts chargée d’élaborer un guide pratique comportant les actes, les dispositions et les procédures relatives aux tribunaux de famille achévera ses travaux au cours de la dernière semaine du mois de février. Ce guide devra servir de référence unifiée aux 500 juges de famille et aux auxiliaires de la justice: avocats et adoul.
Enfin, des ateliers nationaux et régionaux devront sensibiliser davantage les juges à l’esprit du Code de la famille marqué par une volonté de justice au profit de la femme, de la protection des enfants et de la préservation de la dignité de l’homme.



Quant aux simples justiciables, ils bénéficieront d’une vaste campagne de sensibilisation via les deux chaînes de télévision, la radio, la presse écrite, sans oublier une information pratique et ciblée utilisant les dépliants et des formulaires imprimés.



Dernier point, dans toutes les récentes interventions médiatiques du ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ, il n’est plus question de la Caisse d’entraide familiale (dont une première mouture du texte a été rejetée par la primature), dont l’importance est vitale pour le financement de la pension alimentaire. S’agit-il d’un simple report ou d’un abandon définitif?



Mal appliqué, le nouveau code aurait des effets peu différents de ceux de l’ancienne Moudawana



Maintenant, tout justiciable se pose une question, le nouveau Code de la famille est-il applicable dans un procès entamé avant son entrée en vigueur et qui se poursuit après? La réponse réside dans les règles générales du conflit des lois dans le temps. Qu’est-ce à dire? Ce conflit n’existe que lorsque deux conditions cumulatives sont réunies: l’existence d’une situation juridique antérieure et l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi. Pour le Code de la famille, ces deux conditions sont indiscutablement réunies.



Ainsi, pour toutes les affaires déjà jugées ou mises en délibéré, c’est l’ancienne Moudawana qui s’applique. Pour les autres, c’est le nouveau Code de la famille qui sera pris en compte. Cependant, et en vertu de l’article 398 de ce code, toutes les procédures, déjà effectuées, restent valables, par exemple une audition de témoins ou une expertise médicale. Par contre, pour les procédures ordonnées, mais non encore exécutées, c’est le nouveau code qui s’applique. Mais évidemment, c’est au juge d’appliquer cette règle.



Dans le même esprit, il va de soi que tous les actes de mariage et les actes relatifs au statut personnel et successoral, conclus avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de la famille, restent valables, en vertu d’un principe constitutionnel, celui de la non-rétroactivité des lois. Ce principe s’impose au juge et il ne peut s’en écarter.



Ce principe signifie que nul ne peut être condamné pour des actes qui, au moment où ils ont été commis, n’étaient pas illégaux, bien qu’en raison de modifications ultérieures de la loi, ces actes soient considérés comme délictueux.



Les lois s’appliquent du jour de leur entrée en vigueur et jusqu’au jour de leur abrogation. Elles ont toujours un effet immédiat. C’est-à-dire qu’elles s’appliquent à tous les actes ou faits juridiques intervenant après leur mise en vigueur et à tous les effets et situations juridiques ayant pris naissance avant leur entrée en vigueur et non définitivement réalisées.



Quoi qu’il en soit, l’accent mis sur les règles régissant l’application des lois par le juge de famille découle du rôle central de ce juge dans une saine application du nouveau Code de la famille. Aussi avancé et moderne puisse-t-il être, si ce code était appliqué selon une mentalité rétrograde et machiste, le résultat ne serait pas bien différent de l’application de l’ancienne Moudawana.



Deux chiffres pour le prouver. Durant l’année 2003, il y a eu 1167 affaires enregistrées à Rabat en matière de «retour forcé de l’épouse au foyer conjugal»; sur ce total, 1092 affaires ont été jugées, soit un taux de 84%. Par contre, il y a eu 586 affaires relatives au «divorce judiciaire», c’est-à-dire à la demande de l’épouse, dont seulement 218 ont été jugées, soit un taux de 37%. Cela se passe de commentaire.



Chafik Laâbi