Développement de l’autonomie et du leadership des femmes pour la democratisation

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France: Polygamie - cet interdit qui a droit de cité

Maliennes, sénégalaises, gambiennes... près de 20 000 familles vivent sous ce régime coutumier, en principe proscrit par l'Etat français, en pratique toléré par son administration, alors que l'on parle d'intégration.
Des femmes et leurs enfants en situation précaire, voire dramatique, face à des communes désemparées.

Elle vit dans un 4-pièces au papier peint défraîchi avec ses huit enfants, dont sa petite fille de quelques mois, sans parler du défilé incessant de cousins, d'oncles ou d'amis venus du pays. Dans ce brouhaha permanent, que seul l'appel à la prière diffusé par une horloge murale interrompt, Fanta, 53 ans, au sourire triste malgré ses dents du bonheur, le boubou trop large pour son corps frêle, reçoit comme elle peut dans ce capharnaüm. Française d'origine mauritanienne, elle est la première épouse d'un polygame marié à deux autres femmes, dont l'une est repartie au pays.



«Dans votre pays, les hommes ont des maîtresses. Nous, nous les épousons»



Des cas comme celui-là, notre pays en compte des milliers. Car, si, selon le droit français, la bigamie est passible de prison, l'administration tolère depuis longtemps la polygamie pour les immigrés, en vertu du respect traditionnel du statut personnel des étrangers, dont l'arrêt Montcho, du 11 juillet 1980, fut la traduction logique. En autorisant le regroupement familial d'une famille polygame, cette décision du Conseil d'Etat a ouvert la brèche et fait jurisprudence: des milliers de Maliennes, de Sénégalaises, de Mauritaniennes et de Gambiennes sont venues s'installer en France. «Une décision prise sans souci des conséquences», fustigent aujourd'hui plusieurs élus locaux confrontés à la polygamie, comme Pierre Cardo, député maire de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines). Difficultés d'intégration, insalubrité de logements suroccupés, échec scolaire des enfants, condition des femmes catastrophique: autant de situations dramatiques auxquelles doivent faire face, quotidiennement, élus, associations et établissements scolaires.



L'impuissance des pouvoirs publics



Retour en arrière. Le 24 août 1993, Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, fait voter une loi qui proscrit le regroupement familial pour les polygames. La France, à cette époque, est en plein débat sur l'immigration. Les préfectures sont priées de ne plus renouveler les titres de séjour des secondes épouses. C'est le tollé. Dénonçant la situation inextricable de familles déjà installées en France, les associations de défense des étrangers manifestent et pétitionnent. Trois nouvelles circulaires assouplissent la législation: la première, le 8 février 1994, précise que les femmes qui ont des enfants français ou qui séjournent en France depuis plus de quinze ans sont inexpulsables. Elles ont d'ailleurs droit à une carte de séjour. Puis, en avril 2000 et en juin 2001, deux autres circulaires prévoient, pour les familles polygames entrées en France avant 1993, le renouvellement des titres de séjour à condition que les ménages «décohabitent».



En clair, les couples doivent se séparer, voire divorcer civilement. Autant de règlements qui «montrent à quel point le problème est difficile à résoudre», observe un responsable de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) au ministère de l'Intérieur. Dix ans après le vote de la loi Pasqua, la polygamie perdure. Et les pouvoirs publics avouent à demi-mot leur impuissance. «Il faudra de nombreuses années avant que la polygamie cesse en France», explique-t-on Place Beauvau. D'autant que les dispositions prises depuis dix ans n'interdisent pas à une seconde, à une troisième ou à une énième conjointe d'entrer en France, si elles sont mères d'enfants français. Dans ce cas-là, précise la loi, elles peuvent demander le regroupement familial.



Comme Aminata Dioumassi, une deuxième épouse malienne venue s'installer en France, en 1999, avec ses cinq enfants, dont un né ici pendant des vacances. Son mari, lui, ne comprend pas que la polygamie puisse poser problème. «Après tout, c'est l'administration française qui nous a permis de venir ici», explique ce patriarche malien, entouré de trois de ses filles. Les cheveux gris, coiffé de la calotte du hadj, celui qui a fait le pèlerinage à La Mecque, l'homme confie avoir une troisième femme au Mali. Celle-ci ne viendra pas en France, faute de place à la maison. Mais aussi pour une autre raison. Dans ce pavillon d'Athis-Mons (Essonne), la guerre impitoyable que se sont livrée les deux épouses, jusqu'au départ du pavillon de la deuxième, a profondément marqué cette famille.



«La multitude d'épouses est une preuve de prospérité»



Ces difficultés, Abdoulaye Doumbia, le charismatique président du Haut Conseil des Maliens de France, préfère les ignorer. Ce défenseur de la polygamie - «une coutume ancestrale», dit-il - ne comprend pas «pourquoi les Français veulent imposer la monogamie aux Africains». Une réaction partagée par K., un ouvrier malien qui a deux épouses: «C'est Dieu qui nous le permet. Nous avons le droit d'avoir quatre femmes. Dans votre pays, les hommes ont des maîtresses. Nous, insiste-t-il, nous préférons les épouser.» Abdoulaye Digana, jeune Mauritanien responsable de l'Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), décrit la pression sociale très forte que subissent les immigrés maliens, sénégalais ou mauritaniens pour prendre une seconde femme. «Il arrive, explique Digana, que certains hommes, déjà mariés, épousent leurs belles-sœurs au décès du frère. Une coutume encore très vivace qui évite l'éparpillement des neveux et nièces à travers le pays.» La polygamie est aussi un symbole de richesse: «La multitude d'épouses est une preuve de prospérité», déclare Abdoulaye Doumbia.



Aujourd'hui, alors que le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France est déjà passé en seconde lecture à l'Assemblée nationale, de nombreux maires tentent d'alerter, en vain, les pouvoirs publics. Les foyers de tension se multiplient: des familles installées ici depuis longtemps se retrouvent sans papiers, tandis que de nombreuses «coépouses» continuent d'arriver chaque année en France, «par le biais du certificat d'hébergement, explique Pierre Cardo, ou de manière illégale». Ces femmes, condamnées à vivre sous le nom des premières épouses, accouchent même, parfois, sous l'identité de celles-ci. Certaines vivent calfeutrées à la maison, sous l'emprise totale du mari.



Des conditions de vie souvent inhumaines, toujours douloureuses. Mais la polygamie reste un sujet tabou en France. Interrogés, de nombreux hommes politiques, comme Patrick Braouezec, maire communiste de Saint-Denis, Bernard Birsinger, député maire communiste de Bobigny, Claude Dilain, maire socialiste de Clichy-sous-Bois, Pascal Beaudet, maire communiste d'Aubervilliers, ont refusé de s'exprimer et ont interdit à leurs services de répondre à nos questions. Sollicités, le ministère délégué à la Famille, le service des droits des femmes et de l'égalité, celui de la Parité, et le service du logement de l'Hôtel de Ville de Paris n'ont pas souhaité donner suite à nos demandes d'entretien.



Le sujet est pollué par le discours xénophobe du Front national sur les immigrés, mais pas seulement. La peur d'être traité de raciste, la célébration «du droit à la différence», déplore aujourd'hui cette assistante sociale de Montfermeil, ont longtemps interdit le débat. Comme cette dernière, des associations, des assistantes sociales demandent à ne pas être citées.



«Il était de bon ton d'accepter toutes les coutumes, y compris la polygamie, en France»



«On était d'accord avec l'anthropologue Tobie Nathan, la Ligue des droits de l'homme, SOS Racisme... il était de bon ton d'accepter toutes les coutumes, y compris la polygamie, en France», se souvient Claudette Bodin, de l'association Afrique partenaires services (APS). Qui se souciait du sort de ces familles, de ces femmes, de ces enfants? «On a mis du temps à reconnaître que la polygamie était invivable en France», admet Isabelle Gilette, présidente du Groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles (Gams).



La réalité a contrarié tous les idéaux. Surtout, le phénomène s'est étendu. Beaucoup de ces familles polygames vivent en région parisienne, notamment en Seine-Saint-Denis, dans les Yvelines, l'Essonne ou dans quelques arrondissements parisiens. En province, elles sont concentrées dans les régions marseillaise, lyonnaise et normande. Difficile de connaître avec précision le nombre de familles polygames: la Direction des populations et des migrants du ministère des Affaires sociales avance prudemment quelques évaluations: entre 8 000 et 15 000 ménages pratiqueraient la polygamie en France. Au cabinet du ministre de l'Intérieur, on estime qu'ils seraient entre 10 000 et 20 000. Si l'on considère que «le nombre d'enfants dans ces ménages est de 10 en moyenne» - selon une plaquette officielle du ministère des Affaires sociales - le nombre total de personnes vivant dans un foyer polygame serait compris entre 150 000 et 200 000.



En attendant des statistiques plus fiables, pas moins de quatre ministères sont potentiellement concernés: les Affaires sociales, le Logement, la Famille et la Ville. Tous se renvoient aujourd'hui la balle, quand ils n'avouent pas leur impuissance. Conséquence: au quotidien, les élus gèrent comme ils peuvent ce lourd et délicat dossier. A Mantes-la-Jolie, fief du ministre Pierre Bédier, par exemple, la municipalité a répertorié 75 familles polygames vivant essentiellement dans la cité du Val-Fourré. Elle a décidé de mettre la «main à la pâte», comme on dit à la mairie, en aidant les ménages à se séparer. Sa solution: trouver un appartement pour chaque épouse mais... sur le même palier, comme pour la famille K., composée d'un chef de famille, de deux coépouses et de 12 enfants. C'est dans cette cité encore marquée par les émeutes de 1991, au premier étage d'un immeuble humide et glacial, que nous reçoit la seconde épouse. Un turban élégamment noué autour de la tête et assorti au boubou mauve, un collier africain autour du cou, cette jeune femme de 32 ans nous accueille dans son salon impeccablement tenu, un oeil sur un téléfilm américain. «Il y a deux ans, à peine, nous vivions tous ensemble dans un 4-pièces. Chacune de nous avait sa propre chambre et les enfants étaient répartis entre le salon et une petite pièce simplement séparée par un rideau. Aujourd'hui, Monsieur, explique-t-elle en souriant, passe une nuit avec moi et, la nuit suivante, il traverse le palier pour aller chez l'autre. C'est beaucoup mieux comme ça.» Choquant? Pour Mme K., visiblement pas. «Mes amies maliennes m'envient mon appartement», dit-elle. Assis sur le canapé, «Monsieur» acquiesce. Cet ouvrier de Renault, âgé de 54 ans, trouve que «la solution est pratique mais un peu chère. Maintenant, je dois payer deux loyers!», dit-il. Une formule qui fait bondir Jean-Pierre Brard, le fougueux député maire (PCF) de Montreuil (Seine-Saint-Denis): «Je trouve anormal de "caséifier" les HLM, tonne-t-il. Nous n'avons pas à organiser la domination des mâles sur les femmes. Notre modèle français laïque et républicain est de vivre ensemble. Pas question de faire un palier malien, un palier sénégalais...» Jean-Pierre Brard, qui parle en connaissance de cause, dit volontiers sa fierté de gérer la «première ville malienne de France». Chez lui, sur 6 000 Maliens, un millier vivent dans un foyer polygame. Mais, si le maire de Montreuil veut bien aider les épouses qui souhaitent décohabiter, il refuse catégoriquement de les reloger côte à côte ou - «pire encore», dit-il - de faciliter la vie à ceux qui, certes à l'étroit, habitent toujours ensemble: «Cela reviendrait à organiser la polygamie», estime-t-il. Et de citer le cas extravagant de frères jumeaux: «Mariés chacun à deux épouses, ils avaient à eux deux 40 enfants, la plupart inscrits dans la même école. Nous avons mis un an à les convaincre de disperser les gamins dans différents établissements scolaires, raconte Brard. Les deux pères voulaient qu'on leur trouve un grand appartement pour continuer à vivre tous ensemble. J'ai refusé fermement: non seulement nous n'avons pas de 15-pièces, mais, en plus, la famille coûtait déjà une fortune à la commune.»



Les élus sont condamnés à jouer les équilibristes: quelle que soit leur position idéologique, il leur faut trouver des solutions à des cas dramatiques de suroccupation de logement, sans être complices ou hors la loi. Gilles Poux, maire communiste de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), est l'un des rares élus de sa famille politique à avoir le courage d'aborder la question. Il raconte son désarroi face à cette famille de Maliens de la cité des 4 000 qui vivaient à 32 dans un 6-pièces. Une situation «inconcevable au Mali, rappelle Claudette Bodin. Là-bas, chaque femme vit dans sa propre case. Et les enfants sont pris en charge par l'ensemble de la famille ou du village».



Ici, faute de place à la maison, les enfants sont dans la rue, «parfois du 1er janvier au 31 décembre», raconte une conseillère municipale de Mantes-la-Jolie. Laurence Ribeaucourt, assistante sociale au collège Jean-Jaurès de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), renchérit: «La cité est devenue au fil des ans un prolongement du domicile.» Pas de bureau, pas d'espace pour faire ses devoirs, les différentes fratries se font souvent la guerre. Sans compter la rivalité entre les épouses, qui rejaillit sur les gamins. «Je suis contre la polygamie, assène du haut de ses 11 ans Narama. Cela fait trop d'histoires.» Elle, dont la maman et la «tante» ne se supportaient plus, ne voit plus ses cinq demi-frères, tous réfugiés à l'hôtel avec leur mère. «Parfois, la haine est tellement profonde que certaines femmes se vengent sur les enfants de la rivale», raconte Fatoumata Yatera, médiatrice à la mairie de Chanteloup-les-Vignes. Vêtements déchirés, fessées à outrance, voire maraboutisme, tout est bon pour se venger de son malheur. Parfois, aussi, «la fille de la première femme est plus âgée que l'une des épouses», relate encore Jean-Noël Kerlogot, professeur de français au collège de Montfermeil. Les écarts de génération entre le mari et les femmes posent également des problèmes insolubles quand le chef de famille décède. Là, c'est la débâcle. Chaque femme récupère ses enfants et le foyer explose. Parfois, «la première épouse jette la seconde à la rue», affirme Marie-Hélène Hassan, directrice de l'association des femmes-relais de Clichy-sous-Bois. Autant de souffrances méconnues et que peu dénoncent. Y compris chez les féministes. «La dignité des femmes et des enfants est piétinée, insiste Jean-Pierre Brard. Mes camarades de gauche, aujourd'hui silencieux, n'auraient jamais accepté qu'on fasse subir ce sort à des Françaises.»



Mais comment faire, quand l'Ile-de-France manque de 300 000 logements sociaux? Que faire, quand les habitations les plus vastes sont conçues pour cinq enfants au maximum? «Ces familles deviennent de vraies proies pour les marchands de sommeil et s'entassent dans des taudis», explique un responsable de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (Cilpi). Pis, poursuit-il, «quand ces familles arrivent à être relogées dans des HLM, au bout de trois mois ce sont les autres habitants qui demandent à partir. Quand des gens s'entassent à plus de 20 dans trois ou quatre pièces, il faut être naïf pour ne pas imaginer ce que ressentent les voisins».



Le voisinage: encore un sujet difficilement abordable mais pourtant bien réel. Comment réagir, en effet, devant des enfants qui passent la journée dans les halls d'immeuble, ou «face à une famille démunie où cohabitent quatre épouses et 18 enfants»? s'interroge Roger Madec, le maire du XIXe arrondissement parisien. Souvent les habitants des quartiers concernés subissent en silence et se vengent aux élections. Jérôme Guilloux, responsable d'un organisme d'équipements sociaux (Apes), précise: «Nous attribuons un logement à une famille monogame, puis les autres épouses et les enfants arrivent plus tard.» Conséquence: certains bailleurs se méfient des familles africaines en général.



«En 2002, Marie-Noëlle Lienemann, alors secrétaire d'Etat au Logement, avait signé un contrat avec la Sonacotra pour l'achat de 100 pavillons», explique Serge Caquant, directeur de clientèle de cette société. Aucun maire n'en a voulu sur sa commune. Aujourd'hui, six pavillons seulement ont été achetés. L'Etat a mandaté depuis 2001 un groupement d'intérêt public (GIP), Habitat et interventions sociales, pour aider ces familles à s'installer séparément. Xavier Desjardin, son ancien président, se souvient d'un foyer de 23 membres, entassé dans un 3-pièces. «La vie dans l'immeuble était infernale. Les gosses passaient leur vie dans les escaliers ou au pied du bâtiment, les parents étaient totalement dépassés. Propriétaire du logement, l'Opac de Paris a dû expulser la famille». Depuis août, la Direction d'action sociale (DAS) de la ville de Paris et les services du GIP règlent toujours leurs notes d'hôtel. «Une vraie gabegie financière, mais personne ne veut les reloger.» Sur près de 200 familles polygames dont Xavier Desjardin avait la charge, la mission d'Habitat et interventions sociales n'en a, admet-il, logé qu'une dizaine.



«Après des décennies ici, certaines familles vivent encore comme au pays, car personne n'a jugé bon de leur expliquer comment vivre en France», observe N'diaye Sylla, membre de l'Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké. Depuis deux ans, le GIP emploie un agent «technicosocial». Sa mission: aider les familles à s'approprier leur logement. En clair, leur apprendre à utiliser l'eau de la salle de bains, les aider à monter des étagères, leur apprendre à utiliser les hottes des cuisines lorsque les femmes font à manger, leur conseiller de ne pas laver le sol à grande eau, comme au pays... «Un travail pédagogique indispensable, réclament la plupart des bailleurs sociaux, mais il en faudrait beaucoup plus.»



Les allocations familiales critiquées



Pour avoir osé dire, en 1993, que «la polygamie n'était pas intégrable dans les structures urbaines européennes», le sénateur maire de Vincennes, Jean Clouet, fut traité de «raciste» par de nombreux intellectuels. Un chantage moral que refusent beaucoup: «J'en ai marre de voir toujours les mêmes prôner la solidarité, mais chez les autres», assène le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard.



Quelles solutions, alors, contre les drames de la polygamie en France? Certaines, comme Fanta, Fatoumata, Amssatou ou Keita proposent de retirer systématiquement les cartes de séjour des maris polygames. Ces quatre femmes de polygame ont dû batailler durant des années pour que leur mari se sépare de leurs coépouses. Comme Keita, 40 ans. Cette Malienne habite Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Mère de cinq enfants, le port de tête altier et le caractère bien trempé, elle n'a pas peur de crier haut et fort sa colère: «Il faut durcir la loi et retirer les cartes de résident aux hommes. Les femmes, dans leur grande majorité, ne supportent pas de vivre avec d'autres épouses. Mais elles n'ont pas le choix et se soumettent à la décision du mari.» D'autres, dont des personnalités de gauche, proposent de restreindre les allocations familiales. Comme à Mayotte, où celles-ci sont plafonnées dès le troisième enfant. Difficile, en effet, sans l'aide de l'Etat, d'entretenir plusieurs foyers. De passage à Paris, le ministre chargé des Maliens de l'extérieur, Oumar Dicko, enfonce le clou: «Avec la crise économique dans mon pays, peu d'hommes peuvent entretenir plusieurs épouses. En France, c'est différent, tous ces enfants sont une source de revenus.» Jean-Pierre Brard avait proposé, en 1997, de limiter à six le nombre d'enfants susceptibles de bénéficier des allocations familiales. Il s'est retrouvé tout seul à l'Assemblée nationale pour défendre son amendement.



Les caisses d'allocations familiales sont de plus en plus critiquées pour leur manque de vigilance et leur peu d'empressement à contrôler le phénomène. «Voir la CAF du département gaver ces familles de prestations sans essayer d'apporter des réponses autres que financières est désolant», soupire cette militante sociale de Montfermeil. Et d'ajouter: «D'autant plus que ces aides sont parfois un frein à l'intégration.» Plus grave encore, accusent d'autres militants associatifs: «On les scotche aux alloc' alors qu'il faudrait d'abord leur apprendre le français. C'est presque du racisme.» Un discours que l'administration refuse d'entendre.



Interrogé, Philippe Georges, le nouveau directeur des caisses nationales d'allocations familiales (CNAF), se défend: «Ce qui nous importe, c'est la légalité du séjour. Nous pouvons même ignorer une situation de polygamie.» Pour Patrick Mony, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), une association qui dénonce la «répression exercée» sur ces familles, «il y a une grande hypocrisie à dénoncer les ménages polygames qui bénéficient des allocations familiales alors que la Sécurité sociale admet la pluralité des conjoints français». Mais jusqu'où aller dans la tolérance? Faut-il vraiment avancer de l'argent pour équiper en électroménager les foyers des épouses qui décohabitent, comme c'est le cas à Mantes-la-Jolie?



Certains élus, comme Pierre Cardo, évoquent la possibilité de contrôler plus sévèrement le regroupement familial pour restreindre l'arrivée éventuelle d'épouses ou d'enfants de polygames. Les timides propositions de l'Assemblée nationale pour limiter le phénomène ont été battues en brèche par le Sénat. Exemple: aujourd'hui, pour faire venir femmes et enfants en France, le revenu minimum exigé n'est que le Smic. L'Assemblée nationale a proposé d'augmenter ce revenu au prorata du nombre d'enfants. Refus du Sénat en octobre dernier.



Alors, dans les écoles, les enseignants et le personnel continuent de composer avec les «tantes», ou les matougouré, comme on les appelle. Ces deuxièmes mamans font partie du paysage.



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